Une poignée de main chaleureuse, amicale, un beau sourire et une joie de vivre contagieuse. Fady Ayoub ressemble à ces cuisiniers qu'on trouve souvent dans les publicités de pâtes ou dans les films italiens. Ceux qui, avec un physique avenant, mijotent de délicieux plats traditionnels dans une bonne humeur naturelle.
La quarantaine, Fady Ayoub est chef cuisinier à Tawlet. Il a appris le métier sur le tas, presque par hasard. Fady était tour à tour milicien, soldat, puis voiturier... Bricoleur, il a gagné la confiance de Kamal Mouzawak, le propriétaire du restaurant, qui lui a proposé la place vacante de sous-chef. En observant, en découvrant les ingrédients et les plats du terroir, il est devenu chef cuisinier. Depuis deux ans, il officie derrière les fourneaux entouré d'un groupe de femmes.
« À quatorze ans, j'étais derrière les barricades, dans les rangs des Forces libanaises. J'ai porté les armes trois mois. Mon père m'a obligé à quitter le secteur est de Beyrouth, qui était en guerre, pour mon village natal de Wardaniyé, dans le Chouf. C'était en 1990. Il voulait m'extraire de la guerre », confie-t-il.
Quelques années plus tard, il s'enrôle dans l'armée libanaise en optant pour la marine. « J'étais technicien à bord d'un bateau et je faisais la cuisine. À partir de rations sèches, je tentais de faire des plats chauds », dit-il.
De ses années passées dans la marine, il a conservé un amour de la mer, de la natation et de la plongée sous-marine. Mais un jour, pour de nombreuses raisons pratiques, il décide de jeter l'ancre. Il quitte l'armée et devient voiturier.
« Le restaurant Tawlet venait d'ouvrir ses portes. L'entreprise auprès de laquelle je travaillais m'affecte au restaurant », raconte-t-il. Il fait la connaissance de Kamal Mouzawak, donne parfois un coup de main, bricole, devient l'indispensable homme à tout faire de l'exigeant maître des lieux. Quand il décide de quitter son travail, « qui consistait à garer des voitures et à avoir affaire à toutes sortes de gens », Kamal Mouzawak, qui flaire en lui de nombreux autres talents, lui offre l'opportunité de devenir sous-chef.
« J'ai tout de suite accepté et j'ai commencé à apprendre les bases. Certes, si j'avais fait une école hôtelière, j'aurais gagné beaucoup de temps et les choses auraient été plus faciles. La technique de la cuisine, ce sont les hommes qui me l'ont apprise. Les femmes m'ont appris les recettes, les détails, les ingrédients que l'on ajoute à tel plat ou tel autre pour le rendre particulier », explique-t-il. « Elles m'ont aussi appris la joie, la tolérance et l'amour.
L'ambiance et les rapports sont, évidemment, bien différents de l'armée où les hommes qui travaillent ensemble ont tendance à jouer les durs, à rester silencieux et fermés. Les femmes au travail écoutent, parlent, discutent pour trouver une solution. Elles sont de loin plus avenantes, plus ouvertes aux autres. Quand on travaille avec elles, il y a moins de conflits », poursuit-il.
« C'est grâce aux femmes de Tawlet, qui viennent de toutes les communautés religieuses et de toutes les régions du Liban pour cuisiner à Beyrouth, que j'ai pu faire la paix avec les années de la guerre civile », indique encore Fady.
Fier du métier qu'il exerce, il s'exclame en souriant : « Je n'ai jamais rêvé de devenir cuisinier. » Et de poursuivre : « On ne peut pas faire la cuisine si on n'aime pas manger. Il faut mijoter des plats comme si notre vie en dépendait. Rester concentré, insuffler tout ce qu'on a dans le cœur dans sa cuisine. »
Père de quatre enfants, il leur confectionne leurs plats préférés, des pizzas libanaises et de la kafta w batata. Aide-t-il sa mère à faire la cuisine ? « Ah non, ça c'est sacré : c'est elle qui confectionne les meilleurs plats. Je ne peux pas intervenir », s'exclame-t-il dans un éclat de rire.